Ma journée chez les suédois !

Je ne suis pas allée en Suède. Jamais. Même pas une journée. Même pas pour tâter du blondinet ! C'est la Suède qui est venu à moi. Un magasin jaune et bleu.

Celui-là même qui attire les foules en mal de bricolage pour des meubles en légo et sa déco.

L'(le faux) évènement, la semaine dernière à Rennes, fût l'ouverture d'un magasin Ikéa.Tout le monde le sait. Tout le monde y va ! Youpi ! Hourra !

Le marathon commence par un concours de vitesse d'escargot sur la quatre voies. La boue est au rendez-vous. Le parking inaccessible. Il faut se faufiler, filouter, biaiser, fureter pour arriver à se garer. Chose faite, on se croit soulagé. Espérance vite dissipée. Il faut marcher, dans la boue, en évitant si possible de flirter dangereusement avec les voitures nerveusement agglutinées et cherchant désespérément un stationnement.

L'entrée. Un hall... bondé ! Il faut jouer des coudes pour gravir les escaliers. Le parcours du combattant commence. Trouver un sac jaune ! Se précipiter comme des affamés sur les derniers rescapés. En faire de même pour les petits diables que tout le monde s'arrache. Suivre le troupeau. Au pas. Impossible de dépasser, de doubler. Ne pas espérer tester (et encore moins s'assoupir sur) un canapé, une chaise, un fauteuil. Tout est pris d'assaut. Il fait chaud.

On est chez les suédois. Ambiance sauna. Je tombe le manteau. Horreur, malheur, l'ennemi juré du promeneur est bel et bien présent. Même dans un pareil moment. Quelques mères de famille qui s'obstinent sauvagement à trimballer leur progéniture en poussette, que les cris-qui-tuent et les pleurnicheries colériques pousseraient n'importe qui, dans cet environnement confiné et surchauffé, à se transformer l'espace d'une seconde en bourreau d'enfants. Mais on reste zen, on ne fait pas n'importe quoi dans un magasin suédois ! On prend sur soi.

Univers cuisine. J'hallucine. Pourquoi n'ai-je pas pensé à emporter le coupe-coupe, la gourde, les chaussures de marche et le bivouac. C'est la jungle. Il y a surpopulation. Chaque centimètre carré est occupé. Je me transforme en femme sandwich. Je prends un bain de foule. Je me frotte, malgré moi, contre ses corps inertes, encrés sur leur pieds, impossible à déloger. Quelques mains baladeuses, des sourires en coin et des regards hagards.

Niveau terminé. Même joueur joue encore. Descendre les escaliers. Un peu d'air frais. Moment éphémère. La cohue continue. Rayon ustensiles de cuisine et luminaires. Ça tripote, ça manipule. Je continue, je déambule. J'arrive à atteindre quelques articles de déco. Ce qu'il reste à dispo. La bonne affaire de la journée. La brosse à chiottes à moins d'un euro. On se jauge, on se surveille, on tourne autour du pot. C'est tentant mais pas glamour. On attend. On fait un détour. On revient. On s'approche et puis zut on y va. Damned ! Surprise par le beau gosse du lieu, la main plongée dans le bac à brosses. Objet du délit. Je sens son regard. Je n'ose lever la tête. Un sourire nerveux m'envahie. Je relève le défit. Il est devant moi. Je le regarde. Il affiche un superbe sourire. Regards complices. Un moment de douceur dans une atmosphère de brute. Un rappel à l'ordre furibard vient casser la magie du moment. Il détourne le regard pour se tourner vers celle qui l'interpelle mais cache dans son dos une main coquine qui m'envoie un signe.

Je termine le parcours, traverse les stocks, arrive aux caisses. Des queues à n'en plus finir. Mal aux pieds, l'estomac en crise de famine, le gosier sec, les mains moites, le regard aux aguets, le sourcille en circonflexe. Une étincelle dans l'oeil. Tel un épagneul qu'aurait flairé une proie, je dégote une caisse qui ouvre. Je déploie mes jambes et l'air de rien j'arrive la bouche en coeur la première pour sortir de là. Enfin délivrée de l'enfer suédois !